Le Principe Suprême
du combat est la paix
Bien que cela semble un paradoxe pour le néophyte, le Budoka
poursuit un seul but : la Paix.
Lorsqu’un individu éprouve de la haine, il est susceptible
d’être violent avec ses congénères. De même lorsqu’une nation éprouve de la
haine à l’encontre d’une autre, le risque de guerre est au paroxysme.
Comme nous l’avons vu plus haut, la haine est un sentiment
instinctif relevant du sentiment d’agression et du besoin de se défendre. En
parvenant à maîtriser ses émotions, le pratiquant ne fait pas que de diminuer
la haine, il la transcende.
La haine et la violence ont un effet séparatif et génèrent
donc une énergie répulsive. Mais c’est surtout des forces qui s’opposent l’une
à l’autre, valorisées par les Bujutsu, elles ont une conséquence destructrice.
La non-violence n’est pas dans ce contexte une éthique
particulière, mais l’action de se mettre en harmonie avec les forces de
l’Univers. C’est la capacité de s’adapter à notre environnement tant climatique
que social, tout comme l’eau s’adapte au verre sans perdre sa nature. La
non-violence est un comportement qui permet de s’adapter en évitant tout
conflit à toute énergie, tout acte, toute émotion, toute pensée. Ce qui ne veut
pas dire que la non-violence soit une justification à la lâcheté et l’atonie.
Alors que le Bujutsu valorise la violence cruelle, implacable
et le rejet de l’inconnu, le Budo donne le pouvoir de transcender cela en force
d’amour et en apprentissage afin d’acquérir de la connaissance.
Par un travail intérieur sincère, l’être humain évolue de la
haine vers la perception de l’amour universel, qui conduit à l’unité intérieure
et précède le travail final
Lorsqu’une attaque se produit, une énergie violente et
destructrice est mise en mouvement. Si l’attaqué s’en défend par la violence,
sa propre énergie négative vient s’ajouter à celle de l’attaquant. Le résultat
est un dégagement énorme d’énergie négative et les deux protagonistes dans ce
cas en subissent à long terme les conséquences (Karma).
La haine est contraire aux Lois de la Nature car elle a un
effet séparatif. Elle sépare extérieurement les Humains cependant on oublie
souvent qu’elle produit le même effet intérieurement. L’être humain est composé
comme nous l’avons vu de Yin et de Yang, de deux pôles magnétiques, négatif et
positif. La Voie du Budo est d’aller au-delà du Tao, de le transcender. Pour le
faire, il semble logique que la condition préalable soit d’entretenir et de
purifier nos aspects féminins (Yin) et masculins (Yang) puis de parvenir à un
mariage intérieur ou fusionnement des deux énergies en une.
Pour respecter les lois universelles, aucune force ne peut être
détruite en tant que telle mais acceptée pour ce qu’elle est et transformée
sans qu’elle ne soit stoppée. Pour reprendre l’exemple de l’attaque, le
pratiquant de Budo cherchera, au lieu de la bloquer, à « faire
tourner » autour de lui cette énergie négative (évitant ainsi d’être
touché « en plein cœur ») pour la renvoyer après l’avoir purifiée par
ses sentiments (notion de « Kokoro », de cœur emplie de bonté et de
compassion, qualités valorisées par le Bouddhisme).
Voilà la notion de non-résistance : savoir plier,
s’adapter à l’attaque comme l’eau s’adapte à son contenant puis agir sur la
qualité de l’énergie afin de transformer le destructif en constructif, la
rendre enfin à son expéditeur sans haine mais, paradoxalement pour un néophyte,
avec bonté et compassion. Cette façon de faire ressemble à ce qui se produit
lorsque nous aidons un ami que nous aimons qui traverse une mauvaise passe. Si,
de par sa souffrance il nous attaque verbalement, nous ne lui en tenons pas
rigueur et au contraire lui faisons prendre conscience que nous voyons qu’il
souffre et l’encourageons à se prendre en charge.
La non-résistance apparait souvent au débutant comme une
théorie de lâches et de faibles. Pourtant il est facilement compréhensible pour
celui que se donne la peine de réfléchir que contrer la destruction par la
destruction amène…encore plus de destruction. Contre-attaquer avec violence
c’est de la vengeance et devenir vengeur c’est devenir son agresseur. Bien
qu’il faille s’armer de courage et de foi s’opposer à la violence par
l’intelligence et l’amour permet d’inverser le cours des choses et de
participer à la Paix.
La non-résistance permet surtout de ne pas aggraver la dette
karmique. En sortant de la violence et en permettant même de participer à sa
transformation, nous améliorons notre sort individuel et collectif.
L’Humain a compris dans son Histoire qu’il devenait plus
fort en vivant en communauté dont les cloisons sont tombées au fur et à mesure
de son évolution pour avoir à l’heure actuelle, plus que jamais, la perception
de l’humanité comme étant un seul groupe.
Lorsque le travail spirituel débute, il arrive souvent que
l’individu le fasse dans le recueillement procuré par la solitude. Puis, peu à
peu, il prend conscience de son unité intérieure (laquelle est de nature
triple : corps-âme-esprit) et ouvre les yeux (ou devrais-je dire l’œil…)
sur le « Un Cosmique », l’Univers. Plus il médite et plus il prend
conscience que ce qu’il appelle les lois de la nature, universelles, forment UN
TOUT cohérent issu d’un Principe Unique. Il prend conscience du lien qui relie
TOUT CE QUI EST dans l’Univers et que tout cela évolue logiquement en suivant
un plan, un projet, le plus grand qui soit.
En pleine possession de son libre-arbitre et s’étant
harmonisé tant intérieurement qu’extérieurement, il participe alors au plan en
pleine conscience.
L’Humain est un peu comme un atome qui prendrait conscience
de lui-même puis peu-à-peu s’apercevrait consciemment du tout : le corps.
Bien qu’il ne perde pas sa propre conscience individuelle, il participe alors
au fonctionnement global du corps, semblable à l’échelle microcosmique au plan
universel.
Toute recherche de la voie qui conduit à la découverte du
Soi, débute par une purification des quatre corps inférieurs.
Corps mental
|
Travail sur la qualité des pensées
|
Corps astral
|
Travail sur la qualité des sentiments et émotions
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Corps éthérique (énergétique)
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Travail sur le Ki (énergie vitale) et travail sur le
Hara (l’ « océan d’énergie), le centre de gravité.
|
Corps physique
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Alimentation saine, développement
harmonieux du corps, sommeil de qualité
|
Tableau
36 de
l'auteur
Mais qu’est-ce que la mort ? Alors que l’occidental se
considère comme une âme à l’intérieur d’un corps, l’oriental grandit dans une
culture qui considère qu’il est une âme qui s’incarne périodiquement sur terre.
La peur de la mort est la peur-racine de l’être humain.
Cette peur génère chez l’humain lambda les pulsions de vie instinctives :
parce qu’il a consciemment envie de vivre, il respire, s’alimente et se
reproduit car inconsciemment il fuit sa peur du chaos. Tous les concepts
religieux ont pour fonction de nous sortir de la peur du néant spirituel. Alors
que la science nous explique le fonctionnement « mécanique » de notre
univers physique.
Par la loi du Tao, tout ce qui nait va mourir un jour. La
vie est naturellement suivie de la mort : l’une et l’autre se génèrent
mutuellement. Cela est vrai mais uniquement dans certains plans de conscience
(4 plans inférieurs).
L’ego, durant l’enfance et l’adolescence, nous fait prendre
conscience de notre individualité. De ce fait, la peur de la mort est encore
accentuée par le sentiment négatif que la mort correspond à la dissolution de
l’individu dans le néant. Cette illusion est, par le travail intérieur,
transcendée et laisse la place à la vérité de la connaissance du Soi qui peut
alors rejoindre le monde spirituel sans perdre la Soi-conscience.
L’ego existe par la reconnaissance sociale et ne supporte
pas la non-existence. Tant qu’il gouverne la personnalité, la mort est une
cause majeure de peur chez l’être humain.
Ne plus avoir peur de la mort correspond au travail
intérieur d’admettre l’aspect illusoire de la vie et de la mort afin de
démontrer que seule la vie existe ou plus exactement la vie de l’esprit.
Lorsque l’Humain parvient à s’identifier totalement à l’Esprit et non à son
corps, il sort du cycle des incarnations.
Tout comme l’âme et le Ki (le souffle) pénètrent et animent
l’enveloppe corporelle dans le sein de la mère, elles le quittent à la mort.
L’enveloppe charnelle se désintègre et retourne à la Terre (qui
« recycle » les atomes physiques dans un processus qui débuta au Big
Bang). L’âme s’en retourne alors dans le monde dont elle provient et attend de
retourner dans une enveloppe terrestre afin de poursuivre dans l’université
« Terre » son évolution sur la route de la quête du Soi.
Cela explique pourquoi et dans quel but les samouraïs
s’identifiaient à l’objet de leur idéal : afin de transcender les
sentiments du moi et transcender leur peur, ce qui leur permettait de
s’affranchir de leur individualité donc de la peur de la mort.
Nous avons aujourd’hui la possibilité d’utiliser certains de
leurs outils comme l’entraînement, la discipline, le travail personnel et la
méditation afin de connaitre la nature immortelle du Soi divin. Nous sommes
cependant dans le devoir de servir la paix si nous suivons dans le présent le
code éthique du Bushido.
Comme nous l’avons vu l’Humain est composé d’une nature
inférieure, la personnalité ou le Moi, et d’une nature supérieure, l’Âme ou le
Soi. Le but du Budo est de construire une route entre ces deux mondes afin que
l’être humain prenne conscience de sa vraie nature.
La purification des corps inférieurs représente la première
étape. Et ce n’est pas la plus simple : l’acte de purifier son corps, son
cœur et son esprit se réalise par une attention constante et maintenue des
années durant avant que le premier résultat tangible puisse se mesurer.
Après avoir purifié l’Humain instinctif et avant
d’appréhender l’Humain spirituel, un long chemin débute sur lequel l’être
humain doit volontairement renoncer à la Matière pour se tourner vers l’Esprit.
Cette étape a largement été abordée par les religions et les philosophies, mais
a souvent été très mal comprise.
Renoncer à la Matière n’a rien à voir avec le rejet du corps physique ou des
mortifications (ou l’adoration de celles-ci). Elle représente le mouvement
volontaire et consenti de la conscience de la Matière à l’Esprit : tant
que l’Humain s’identifie à son corps physique, il vit dans le cycle des
incarnations, lorsqu’il reconnait sa vraie essence, son âme, il commence à
aborder la vraie notion de l’immortalité.
Lorsque l’Humain prend conscience de son âme et lui redonne
sa juste place, sa personnalité peut mettre au service de son âme. Il devient
alors la manifestation individuelle de l’harmonie de l’Univers. Il respecte ses
lois et les vit. Il devient un saint humain, un homme de paix.
Certains grands maîtres japonais ont permis de transmettre à
la masse des moyens de réalisation. Car leurs capacités ne se limitaient pas à
une adresse hors normes dans le domaine martial, mais ils étaient des êtres
dont l’abnégation, l’humilité et la continuité du travail personnel sont
toujours un exemple. De techniques guerrières ils ont su durant et après l’ère
Meiji, transmuter des arts guerriers réservés à des clans en voie
d’accomplissement accessible à tous les Hommes de bonne volonté.
Maître Jigoro Kano fondateur du Judo, Me Morihei Ueshiba
pour l’Aïkido Me Funakoshi Gishin pour le Karatédo
et Me Takamatsu Toshitsugu pour le Ninpo font partie de ceux-là. Nés dans une
période troublée de l’histoire du Japon, ils ont transmis des arts dont chacun
pourra apprécier la pureté.
D’autre avant eux ont ouvert la route : Miyamoto Musashi,
samouraï de légende fondateur de la Niten Ichi Ryu ; Iizasa Chōisai Ienao,
fondateur de la Tenshin Shoden Katori Shintō Ryu ; Shingen Takeda un des
principaux daimyos (seigneur féodal) ayant combattu pour le contrôle du Japon
durant la période Sengoku et bien d’autres encore.
Le Budo est une voie de recherche du Soi dont les racines
sont plongées dans les arts traditionnels japonais de la guerre. Bien que
paradoxal le Budo a l’avantage de s’attaquer à un problème énorme chez l’être
humain : son agressivité. Alors que nous vivons une période faste en termes
de santé et de confort
,
la violence, qui n’est pas une manifestation de l’intelligence humaine mais
plutôt une preuve de sa parenté avec ses cousins du règne animal, est en constante
augmentation. Le Budo permet d’y remédier, par un travail de l’individu sur
lui-même et par lui-même, en guidant étape par étape le pratiquant sur le
chemin de la maîtrise de la personnalité afin d’accéder au Soi Divin.
A l’image de la médecine complémentaire qui traite la cause
du symptôme, le Budo offre la possibilité de transmuter la violence en énergie
créatrice permettant de construire un monde meilleur au lieu de la détruire. En
donnant des outils à l’édification de l’Humain Spirituel le Budo soigne la
cause de la violence : la peur. En effet, dans son long travail le
pratiquant, après avoir édifié un corps en pleine santé, se tourne
intérieurement afin d’y effectuer le même travail au niveau de l’affect et de
la psyché.
Le Budo est le sentier abrupt qui monte vers le sommet, que
peu choisissent de par son niveau de difficulté et d’exigences. Cependant même
si les autoroutes de la plaine semblent évidentes elles ne conduisent qu’à
d’autres routes qui ne conduisent pas toutes au sommet. Le Budo propose un
discipline strict sans récompense, un travail de tous les jours sans aucun
repos, la répétition de techniques jusqu’à la perfection mais en contrepartie
il offre des trésors à l’esprit et à l’Âme de l’Humain qui lui est fidèle.
Jean-Christian
Balmat
Fondateur
de la Méthode